LES STATIONS ESSENCE de notre enfance, mais pas seulement..

Les stations Shell de mon enfance m'ont toujours paru esthétiquement plus "contemporaines" que celles des autres distributeurs de carburant. En fait, je ne saurais trop dire pourquoi.
Peut-être n'était-ce qu'une impression, mais les bâtiments stylisés semblaient tout spécialement conçus pour la marque au logo rouge et or.
Du coup, les stations sur les grands axes paraissaient neuves, bien intégrées dans le paysage urbain et d'une sobriété rassurante qui ne manquait pas de séduire les conducteurs.
Sur la route des vacances, mon père conquis, aimait s'y arrêter afin d'y faire de longues haltes.

   

Il appréciait ce concept innovant de "Relais", que l'on retrouve aujourd'hui sur toutes les aires d'autoroutes, mais qui à l'époque était encore assez rare sur les routes nationales.

Des stations services modernes, dont les services justement, étaient poussés à l'extrême.
Pendant que les véhicules subissaient gratuitement le lavage des vitres, le contrôle des niveaux et de la pression des pneumatiques, les voyageurs trouvaient là de quoi se restaurer rapidement, se reposer, téléphoner (l'ère du portable n'existait pas), boire un café, ou simplement luxe suprême, utiliser des toilettes propres.

Le plein du véhicule, donnait droit, comme toujours, à des points cadeaux que l'on s'empressait de choisir dans les boutiques attenantes.
Là, entre les rayons consacrés aux batteries, essuie-glaces et autres peaux de chamois, trônait, tel le Graal, l'objet de toute notre attention, le chaînon manquant à notre collection...

Sur cette ancienne publicité le terme de "Service-Station", littéralement traduit de l'Anglais, n'est pas encore francisé en "Station-Service".


... 42 ans plus tard, je le retrouvais un jour, sur l'étal d'un vide grenier.
L'objet, pourtant familier, m'était complètement sorti de l'esprit, mais en 2 secondes à peine, le contact avec ma vieille collection était rétabli. Un présentoir complet de ses 20 jetons de métal brillant représentant la fameuse "Epopée de l'espace".
Une production de médailles qui exploitait pleinement l'engouement que suscitait l'Amérique de 1969 avec son programme Apollo et son premier homme sur la lune.
En cette année 1970, bien calés à l'arrière de l'automobile, les petits garçons scrutaient la route à la recherche d'une station au logo jaune en forme de ...de quoi au juste ?

La 21e médaille, joyau de la collection l'épopée de l'espace.


Présentoir 1970 des vingt médailles consacrées à l'épopée spatiale.

Au départ, une simple idée "déco".

Tout commence en 1833 à Londres. Marcus Samuel commerçant, brocanteur, marchand d'antiquité de bimbeloterie et autre bric-à-brac, toujours en quête de ce qui fera la mode demain, cherche à exploiter la nouvelle fantaisie dont s'entiche alors les milieux bourgeois de l'ère Victorienne : les petites boîtes décorées.

L'engouement de la population pour cette nouvelle mode "déco" est telle que Marcus Samuel, en bon chasseur de tendance, songe sérieusement à importer d'Extrême Orient des petits coquillages décoratifs qui permettraient d'orner et de fabriquer ces fameuses petites boites à colifichets.

La boite en coquillage, considérée aujourd'hui comme un "must du kitch", ne l'était assurément pas à cette époque. (ci-contre un exemple de boîte Victorienne en coquillage)

Marcus Samuel a vu juste. Le marché est rentable et va jeter les bases de son entreprise d'import / export.
Il fonde la "Shell Transport and Trading Company" , ce qui dans la langue de Molière se traduit par : "Compagnie de Négoce et de Transport de Coquillage", car en Anglais, coquillage se dit : Shell.

Au décès de Marcus Samuel en 1870, ce sont ses deux fils prénommés Marcus (junior) et Samuel (Sam), encore adolescents qui reprennent la petite société.
Les frères bénéficient à l'époque d'une conjoncture commerciale propice à leur petite entreprise d'import-export.

Le commerce entre la Grande Bretagne, l'Asie et l'Extrême Orient est florissant. Mais c'est le Japon alors en pleine industrialisation qui permet aux frères de prospérer rapidement. Ils y exportent des machines, des textiles et de l'outillage, tous fabriqués en Grande-Bretagne. En retour ils importent vers l'Europe du riz, de la soie, de la porcelaine, des coquillages, mais également des matières premières telles que le sucre ou le blé en provenance d'autres parties du monde.

Marcus Samuel fonde la "Marcus Samuel & Co" dont le siège social est basé à Londres. Sam fonde la Samuel Samuel & Co. Dont le siège est situé au Japon.
C'est lors d'un voyage au Japon justement, que Marcus junior s'intéresse particulièrement à l'activité d'exportation du pétrole produit dans la région du Caucase Russe à destination de l'Asie.
Les frères se rapprochent alors de la famille Rothschild qui possède des intérêts dans la production de pétrole de cette région enclavée de la mer noire.

A l'époque, l'expédition du pétrole par la mer pose quelques problèmes d'ordres techniques. Le pétrole stocké en barils occupe un encombrement non négligeable. Très coûteux, les fûts s'avèrent difficiles à transporter (un baril contient environ 150 l) , leur manipulation est longue et laborieuse (30 kg à vide). Mal arrimés ils peuvent fuir dans les cales des navires et sont alors mis au rebut. De plus, les rudes hivers du Caucase interdisent toute navigation, obligeant certaines raffineries à réduire ou stopper leur production.

C'est pourquoi en 1880 les Rothschild acheminent le pétrole par le rail. Ils investissent massivement dans la construction de tunnels, et surmontent ainsi les difficultés liées au transport maritime, reliant Batoumi, le principal port Géorgien sur la mer noire à Bakou, sur la mer Caspienne.
En 1890, les frères Samuel ont une idée de génie. Pour tenter de s'imposer face à la puissante Standard Oil de Rockefeller, ils proposent aux Rothschild une solution économique qui leur permettrait d'écouler leur production de pétrole Caucasien vers l'Asie, en passant par le canal de Suez.

Pour l'heure, la Compagnie de Suez interdit à tout bateau transportant du pétrole de transiter par le canal pour des raisons de sécurité.
Les incendies et les explosions de navires ne sont pas rares à l'époque.
Même la flotte de la puissante Standard Oil ne peut utiliser le canal, ses navires sont obligés de passer par le cap de Bonne-Espérance.

Marcus Samuel aborde le problème différemment. Il s'enquiert d'abord des normes et des caractéristiques que devraient posséder un tanker pour pouvoir transiter par le canal de Suez en toute sécurité.
Commande est ensuite passée aux chantiers navals du nord de l'Angleterre pour la construction d'un premier bateau à vapeur capable de transporter dans ses cales des hydrocarbures en vrac et surtout répondant aux nouvelles normes de sécurité imposées par la Compagnie de Suez.
L'idée va révolutionner le transport maritime pétrolier.

En juillet 1892, "Le Murex", (nom d'un coquillage ) premier (vrai) bateau pétrolier de l'histoire, quitte Liverpool pour Batoumi en mer noire où il charge près de 4000 tonnes de pétrole en vrac.


Le Murex, le premier Tanker Shell

Alors que la Standard Oil n'a pas encore l'autorisation de transiter par le Canal de Suez, la compagnie d'assurances britannique, Lloyds of London, le permet aux frères Samuel qui viennent de recevoir des concessions de vente de la part des Rotschild.

L'opération est un succès. Le Murex est le tout premier pétrolier de l'histoire à franchir le canal de Suez. Pour des volumes de pétrole considérablement augmentés, les coûts d'exportation s'en trouvent fortement réduits et bien inférieurs à ceux des navires de la Standard Oil qui transportent encore le pétrole brut en barils et hors canal.

8 nouveaux navires sont commandés. Cette nouvelle flotte de transport maritime tout d'abord appelée "Tank Syndicate", est rebaptisée en 1897 "Shell Transport and Trading Company", en souvenir de la toute première compagnie paternelle des frères Samuel. Son logo représente alors une coquille de moule.

Premier logo Shell

Du côté des Pays Bas

Indépendamment de toute affaire britannique, les Pays Bas de leur côté, cherchent à exploiter les concessions pétrolières situées à Sumatra dans les Indes néerlandaises (Indonésie actuelle).
A cet effet, est fondée à la Haye en 1890, la "Royal Dutch Petroleum Company", nom choisi car la compagnie de navigation Néerlandaise a le soutien de la maison royale des Pays-Bas.

En Indonésie, la compagnie Britannique "Shell Transport and Trading Company" des frères Samuel, se retrouve donc en concurrence directe avec la compagnie Néerlandaise "Royal Dutch Petroleum Company".

En 1907, face à la concurrence américaine de la Standard Oil, les deux compagnies décident de fusionner leurs intérêts pour former le groupe "Royal Dutch Shell".

Sous le nom commercial de "Shell", la multinationale garde tout de même deux identités distinctes. Son quartier général est basé à la fois à Londres et à La Haye.La Royal Dutch possède 60% du Groupe et Shell Transport les 40% restants.

Un nouveau Logo fait son apparition. Il représente une coquille Saint-Jacques, et devient l'un des symboles d'entreprises le plus connu au monde.

Marcus Samuel assure la présidence de ce nouveau groupe. Mais absorbé à d'autres tâches étatiques toutes aussi honorifiques, il devient entre autres banquier et Lord-maire de Londres en 1902, c'est surtout Henri Deterding, l'un des fondateurs de la Royale Dutch qui assure l'exécutif et les fonctions de directeur général.
Surnommé le Napoléon du Pétrole, c'est sous sa direction que le Groupe Royal Dutch Shell se développe pendant la première moitié du XXe siècle.

Marcus Samuel meurt en 1927. Son fils Walter Samuel lui succèdera à la direction du groupe.

Patriote durant la première guerre mondiale:

Au cours de la première guerre mondiale, Shell est le principal fournisseur de carburant de l'aviation et de la force expéditionnaire de l'armée britannique.

À la fin des années 1920, Shell devient la première compagnie pétrolière au monde, produisant 11% du pétrole brut mondial et détenant 10% du tonnage avec ses pétroliers.

Une neutralité toute relative durant la seconde guerre mondiale:

Shell, qui a toujours entretenu une culture apolitique et ne se reconnaît aucune allégeance envers un État particulier, privilégie la défense de ses marchés internationaux.
Durant la seconde guerre mondiale, les affaires de la compagnie passent donc avant la guerre et l'idéologie.

 

On reprochera à la Royal Dutch Shell d'avoir continué à approvisionner l'Allemagne durant le conflit mondial.
Pour faire taire certaines rumeurs, Henri Deterning ne cachait pas ses sympathies avec le IIIe Reich, et pour protéger le groupe de toute influence personnelle, Shell décide en 1946 de se doter d'un collège de dirigeants composé de 7 directeurs généraux, en lieu et place d'un directeur général unique.

Après la Seconde Guerre mondiale, Shell étend ses activités en Afrique et en Amérique du Sud.
Le transport par mer prend de l'ampleur. En 1947, Shell fore le premier puits de pétrole en mer dans le Golfe du Mexique. En 1955, Shell possède 300 puits.
En 1958, elle entame la production au Nigeria.

Super-Tankers :

En 1967, la Guerre des Six jours entraîne la fermeture du Canal de Suez jusqu'en 1975, obligeant désormais les navires à transiter par le cap de Bonne-Espérance.

Afin de rentabiliser au mieux le transport du pétrole, les compagnies Shell et Elf commandent en 1970 aux chantiers de l'Atlantique de St Nazaire la construction de quatre super tankers.
Livrés entre 1976 et 1979, il s'agit des 4 plus grands pétroliers jamais construits au monde. Le Batillus et le Bellamya pour Shell, le Prairial et le Pierre Guillaumat pour Elf.
Ci-contre le Batillus

Ces navires imposants de plus de 400 mètres de long sur 63 m de large, transportent en 2 voyages annuel près d'un million de tonnes de pétrole.
Les crises pétrolières successives de 1973 et 1978 mettront finalement un terme à cette course au gigantisme entraînant le démantèlement anticipé des supertankers en 1984 pour le Bellamya et 1985 pour le Batillus.

Dans les années 2000, Shell étend ses activités en Chine et en Russie.
En 2005, Shell procède à la dissolution de son ancienne structure d'entreprise pour créer une nouvelle société unique, une structure dénommée " Royal Dutch Shell plc" (public limited company)

Fort d'un réseau de 44000 stations service, le groupe concentre aujourd'hui tous les aspects de la filière énergétique : de la prospection du pétrole et du gaz, à la commercialisation de produits pétrochimiques, en passant par les biocarburants.

Le logo :

On l'a vu, le nom de la société étant Shell, (coquillage en français), il est normal que celle-ci soit représentée par un Logo évoquant un coquillage.

En 1901, le premier Logo de l'entreprise, représentait une coquille de moule, un visuel simple, sans couleur particulière.

Les navires de la sociétés ont d'ailleurs toujours porté un nom de coquillage (du Murex au Bellamya)

En 1904, le logo subit une première transformation. Il représente désormais un pétoncle, ou une coquille St Jacques. Toujours un coquillage donc, mais pourquoi la coquille St Jacques ?

Et bien il est difficile de le savoir réellement...

A ce sujet, Shell communique au conditionnel : "Le pétoncle proviendrait des armes de la famille de M. Graham, un associé de Samuel qui devint membre du conseil d'administration de la Shell Transport and Trading Company. La famille Graham aurait adopté la coquille Saint-Jacques comme emblème à la suite d'un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne".

Nous n'en saurons pas plus.

Présentoir de la collection de coquillages - Même les vedettes yéyé se mettent à Shell

Le design du logo n'évoluera que très peu au fil des ans.
En 1971 le designer Raymond Loewy (à qui l'on doit déjà les logos BP, Exxon, ou LU ) redessinera l'emblème Shell.
Le Logo reprend des couleurs en 1995 pour adopter un rouge Shell et un jaune Shell "très attrayants pour la clientèle" selon la direction.
En 1999 le logo abandonne le nom de Shell.

Chez Shell on connaît la musique : quelques 45 tours distribués dans les stations.

Ne subsiste aujourd'hui qu'un visuel coloré, mais ô combien reconnaissable. De la couleur, oui mais pourquoi le rouge et le jaune ?

Là aussi les explications de l'entreprise restent plutôt évasives :

"En 1915, la Shell Company of California se met à construire des stations-service et doit se démarquer de la concurrence. Elle utilise des couleurs vives qui ne choquent pas les Californiens : le rouge et le jaune en raison des liens étroits que cet Etat entretien avec l'Espagne." La compagnie Européenne aurait adopté des couleurs rappelant aux Californiens leurs origines Espagnoles ... vous admettrez que l'explication est assez nébuleuse, mais il n'y en a pas d'autres...

Aller, bouclons la boucle en rappelant que la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle, en rapport avec le logo de la coquille St jacques, est justement située en Espagne.


La grande épopée spatiale en 1970.

Shell en France :

Durant la première guerre mondiale, l'approvisionnement du pays en pétrole est assuré conjointement par la Standard Oil et la Royal Dutch-Shell.
Il est donc normal que ces grandes compagnies, ayant participé à l'effort de guerre, cherchent dès l'Armistice à s'implanter sur le territoire français.

En 1919, Shell s'implante en France en achetant la raffinerie de pétrole "A. André Fils", basée au Grand Quevilly en Seine Maritime, pour créer : La Société Maritime des Pétroles, chargée de la distribution des pétroles et des huiles combustibles.

En cette période de reconstruction et de réorganisation générale, les temps sont durs pour les petites sociétés pétrolières françaises qui ont bien du mal a subsister.
Certaines, ne pourront survivre qu'en s'associant à l'une des 3 grandes compagnies pétrolières du moment à savoir :
l'américaine Standard Oil, la britanique BP, ou la néerlando-britannique Royal Dutch-Shell.


Buvard publicitaire pour "Deutsch de la Meurthe"

C'est le cas de la société française "Deutsch de la Meurthe", un des premiers raffineurs en France, qui produit de l'essence automobile sous la marque Moto-Naphta ou encore du pétrole lampant sous le nom de Luciline.

En 1922, au terme d'un accord, la société Deutsch de la Meurthe est absorbée par le groupe Shell et devient la "Société des Pétroles Jupiter".
Désormais toute l'activité de Shell en France est regroupée sous la bannière des Pétrole Jupiter.


Buvard publicitaire pour "Jupiter"

Les publicités ont bien du mal à suivre l'évolution des fusions de sociétés.

 

En 1931, c'est les débuts de l'activité gaz avec la création des marques Butagaz et Propagaz filiales du groupe, et les premiers centre d'emplissage de bouteilles de gaz liquéfié.
A partir de 1969, la bouteille bleue se personnalisera en Bob le célèbre ourson bleu de la marque.

En 1948, la "Société des Pétroles Jupiter" devient "Shell Française"

En 1949, création de Shell Chimie et de Shell Saint-Gobain.

En 1951, création de la "Société Maritime Shell" (SMS), département marine de Shell Française.

En 1960, "Shell Française" devient "Shell France".

C'est les Début de la célèbre campagne de publicité : « C'est Shell que j'aime », déclinée jusque dans les années 80.

En 1986, vente des derniers navires de la flotte "SMS".

En 1988, mise en vente de l'immeuble parisien Shell.

En 2007, Shell France vend l'ensemble de ses raffineries.

En 2009, fermeture du centre de recherches Shell France de Grand Couronne (Seine Maritime). Fermeture de 240 stations-service sur un total de 340 en France.
Les stations restantes sont recentrées sur les grands axes.

Selon le "Fortune Global 500", le chiffre d'affaires annuel 2013 classe la "Royal Dutch Shell plc ", seconde au rang des entreprises mondiales. (première en 2012)

Sources et extraits :

http://www.shell.com/global/aboutshell/who-we-are/our-history/the-beginnings.html

http://www.shell.fr/aboutshell/at-a-glance/l-histoire-du-logo-de-shell.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Shell_(entreprise)

http://www.shell.com/global/aboutshell/who-we-are/our-history/history-of-pecten.html

http://www.answers.com/topic/royal-dutch-petroleum-company-the-shell-transport-and-trading

http://legalles.depczynski.free.fr/PresentationSHELL.htm

http://www.marine-marchande.net/Reportages/500.000/500000.htm

http://hj.pernot.pagesperso-orange.fr/

D'Azur à Total de Christian Rouxel aux éditions Drivers.


Texte, conception Carl@oct 2014

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